Shoah: Claude Lanzmann nous livre un poignant documentaire de dix heures sur le génocide nazi sur France 2

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Saisissez la chance, ce mardi 30 janvier, de vous plonger dans le documentaire incontournable « Shoah » de Claude Lanzmann, diffusé sur France 2. Vous n’y trouverez pas un simple reportage ou une fiction, mais le sombre récit de la pire tragédie du XXe siècle.

 

Connaissez-vous Claud Lanzmann ? Ce réalisateur hors pair a passé plus de onze années à recueillir des histoires de survivants, d’anciens nazis, de victimes et de bourreaux. Sans voix off ou image d’archive pour soutenir le propos, il a, avec son équipe, capturé les véritables lieux où se sont déroulés les évènements.

 

« Shoah » n’est pas qu’un simple film. C’est une oeuvre monumentale, considérée comme « le film mémoire » par excellence. Penchez-vous sur cette fenêtre historique, seule la vérité des faits y filtre.

Le terme « Shoah » popularisé par le film de Claude Lanzmann

 

Dans le monde entier, la Shoah est un terme largement reconnu pour parler de l’horreur perpétrée par l’Allemagne nazie entre 1941 et 1945. Saviez-vous que cette dénomination tire son origine de l’hébreu et qu’elle signifie la tempête, le désastre, la catastrophe, l’anéantissement, ou la destruction totale ? C’est bien différent de l’idée de sacrifice que renvoie le terme « holocauste », issu du grec, parfois aussi utilisé pour se référer à ces sinistres événements.

 

Le terme de destruction des juifs d’Europe a également été utilisé par des éminents historiens du sujet, comme l’autrichien Raul Hilberg. Cependant, le terme « génocide juif » fait également partie de la terminologie employée pour décrire cet épisode sombre de notre Histoire.

 

Mais saviez-vous que c’est surtout grâce au remarquable travail du réalisateur Claude Lanzmann et son film iconique « Shoah » que ce terme est devenu le plus usité pour désigner ce tragique pan de l’Histoire ?

« Shoah », un Film Récital par Claude Lanzmann

 

Profonde et profondément émouvante est la façon dont Claude Lanzmann a décrit lui-même son film magistral lors d’une interview sur Antenne 2 en 1984. À cette occasion, il a expliqué : « Ce n’est pas une histoire où des gens cravatés derrière leur bureau vous racontent des souvenirs, les souvenirs sont faibles. J’ai choisi des protagonistes capables de revivre cela et pour le revivre, ils devaient payer le prix le plus haut, c’est-à-dire souffrir en me racontant cette histoire. »

 

Il déploya des efforts extraordinaires pour obtenir ces témoignages, en particulier ceux des bourreaux. En choeur avec Lanzmann, je vous dis : « Victime et bourreaux, c’est la première fois qu’ils parlent en 40 années et qu’on les voit parler. J’ai eu plus de mal à trouver les bourreaux que les victimes. » Incroyablement, il a réussi à transformer les gens ordinaires en acteurs de leur propre histoire. Comme il le dit lui-même : « C’est une fiction du réel où il a fallu transformer ces gens en acteurs, c’est leur histoire qu’ils racontent. »

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Chers lecteurs, croyez-moi, cette citation souligne à quel point « Shoah » est bien plus qu’un simple documentaire. C’est une expérience qui vous prend aux entrailles et vous ne vous en remettez jamais tout à fait.

Le génie derrière l’exception de « Shoah »

Vous demandez-vous pourquoi Shoah est si unique ? Laissez-moi vous raconter l’histoire derrière son génie, Claude Lanzmann. Imaginez la détermination nécessaire pour travailler sur un seul projet pendant 16 ans. Pas un exploit courant, n’est-ce pas ? Lanzmann a consacré ces années à l’enquête, au tournage et au montage. Le film resulte de 300 heures de pellicule 16 mm et plus de 30 entretiens. Cinq ans passés sur un montage précis et cinématographique avec l’aide inestimable de la monteuse Ziva Postec.

 

Mais que serait cette dévotion sans la vision unique de Lanzmann ? Il a évité toute tentation d’utiliser des images d’archives et a refusé la facilité des témoignages distants offerts. Voici sa vision en ses propres mots : « faire revivre le passé aux protagonistes ». Purement évocateur, n’est-ce pas ?

 

Laissez-moi maintenant vous partager l’avis de Simone de Beauvoir sur Shoah. Dans une lettre qu’elle a écrite à Claude Lanzmann au lendemain de la première projection en 1984, elle affirme: « Il s’agit d’un monument qui pendant des générations permettra aux hommes de comprendre un des moments les plus sinistres et énigmatiques de leur histoire. ».

 

Grâce à son exceptionnelle dévotion et à sa vision unique, Claude Lanzmann a créé une œuvre magnifique qui a marqué sa génération et celles à venir. Chapeau bas, Monsieur Lanzmann !

Se pencher sur les témoignages percutants dans « Shoah »

Le réalisateur Claude Lanzmann a ardemment cherché et enregistré plus de 30 récits poignants pour créer « Shoah ». Un travail colossal qui a nécessité des années d’enquête pour dénicher les protagonistes de cette tragédie : victimes, bourreaux et témoins dits « passifs ». Ces derniers, résidant en Pologne, à proximité des terrifiantes installations concentrationnaires, conservent encore en mémoire l’image des trains de déportés arrivant vers leur funeste destination.

Dans l’extraordinaire panoplie de témoins se démarque Abraham, autrefois Sonderkommando à Treblinka. Sa tâche abyssale ? Couper les cheveux des femmes avant leur passage dans la chambre à gaz. Afin d’accéder à son témoignage poignant, Lanzmann le fait parler tout en pratiquant son ancien métier dans un salon de coiffure à Tel-Aviv. Après une longue hésitation, Abraham livre finalement, en pleurs : « C’était très dur de ressentir quoi que ce soit (…). Vos sentiments disparaissaient, vous étiez mort aux sentiments, mort à tout. »

Indifférent aux critiques à l’égard de sa méthode interrogative, Lanzmann se défend en déclarant : « On m’a souvent reproché mon sadisme dans les questions. C’est faux, c’est un accouchement fraternel. Les larmes du coiffeur sont pour moi le sceau de la vérité. »

Yitzhak Zuckerman, un ancien combattant de la résistance juive et rescapé de l’enfer de Treblinka, livre également un témoignage bouleversant avec cette phrase lancée à Lanzmann : « Si tu pouvais lécher mon cœur, cela t’empoisonnerait. »

Simon Srebnik, l’un des rares survivants du Sonderkommando de Kulmhof, témoigne également. Capturé à l’âge de 13 ans et amené à Chelmno où 400 000 juifs ont tragiquement péri, il raconte, face aux vestiges de l’ancien camp d’extermination, « Il y avait deux immenses fours (un long soupir) et ensuite, on jetait les corps dans ces fours et les flammes montaient jusqu’au ciel. Lanzmann l’interroge : « jusqu’au ciel  ? ». « Oui », répond Simon, « c’était terrible, on ne peut pas raconter cela, personne ne peut se représenter ce qui s’est passé ici et personne ne peut comprendre ». Continuant son tour du site, il prononce ces mots griffés d’horreur : « Quand on brûlait chaque jour 2 000 personnes, des juifs, personne ne criait, chacun faisait son travail, c’était silencieux, paisible comme maintenant ». Si l’on recherche l’âme de « Shoah », on la trouve sans doute dans ces moments de silence saisissants qui précèdent une parole calme, effroyable et pourtant si juste.

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Révélations Choc des Nazis dans « Shoah »

En plus des récits poignants des rescapés, Lanzmann a également réussi à filmer les confessions des acteurs de la Shoah de l’autre côté du spectre: le terrifiant groupe des bourreaux du régime nazi. Six d’entre eux ont courageusement partagé leurs sanglants souvenirs devant la caméra de Lanzmann, certains même disposant d’une compensation pour leurs témoignages. Parmi ces personnages marquants figurent Franz Grassler, ex-seconde main de Heinz Auerswald, et Josef Oberhauser, officier des camps de mort de Belzec, sans oublier Walter Stier, menant la ‘Reichsbahn’. Leur banalité contraste avec le rôle glacial qu’ils ont joué dans l’extermination des Juifs.

Parlons par exemple de Franz Suchomel, ce nazi impliqué dans l’Aktion T4, l’opération scandaleuse visant à éliminer les personnes handicapées. Cet homme a été trouvé coupable d’avoir contribué à l’assassinat de plus de 300 000 personnes et est tombé entre les mains de la justice en septembre 1965. À travers une caméra cachée, Lanzmann dévoile le visage de ce technicien du crime. On aperçoit alors ce lieu paisible et charmant de la Bavière, où vit Suchomel. En filigrane de ces images, un chant, fredonné au loin. Celui-ci, on le découvrira plus tard, devait être appris par cœur par ceux qui entraient dans le camp de Treblinka. À mesure que la mélodie s’intensifie, Franz Suchomel semble inconscient de l’ampleur de son inhumanité. Le témoignage volé continue, détaillant avec précision le fonctionnement industriel de l’extermination dans les camps de la mort. Dans ses lugubres explications, Suchomel parle
froidement de rendement, évoquant comment il était possible de « traiter » jusqu’à 18 000 personnes par jour à Treblinka. L’image de ce petit fonctionnaire, un bureaucrate de l’horreur, est insoutenable.

La figure fascinante de Claude Lanzmann, réalisateur de « Shoah »

Voilà un cinéaste qui marque les esprits ! C’est de Claude Lanzmann dont nous parlons, cette présence prédominante et surtout, très touchante dans le film documentaire Shoah. On ne peut manquer sa voix tranquille et son caractère obstiné qui filment l’écran et plongent les spectateurs dans une atmosphère hors du commun. Par moment, on observe discrètement sa main établir un lien fraternel avec le témoin, témoignant ainsi de sa sympathie et de son humanité.

 

Sans aucun commentaire ou voix off, l’empreinte du film se dessine à travers le ton de ses interviews. Il n’y a pas de doute, Lanzmann est bel et bien la figure centrale de ce film. Derrière chaque image, il est là, menant sa quête qui pourrait être directement inspirée par sa propre vie.

 

Peut-être, savez-vous qu’il est le fils d’une antiquaire juive ukrainienne et d’un père décorateur aux origines lettones et biélorusses  ? Durant la guerre, le jeune Claude se voit former par son père à l’art de la disparition, simulant des rafles de la Gestapo dans une ferme cachée. Ajoutons également à ce tableau que, à peine âgé de 18 ans, il rejoint les Jeunesses communistes et s’engage dans la résistance auvergnate.

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Depuis 1952, suite à sa rencontre avec Sartre et Beauvoir, Lanzmann se lance dans une carrière d’écrivain et de cinéaste. Il entame une relation avec Beauvoir et devient le rédacteur de la fameuse revue Les temps modernes . Son premier grand pas en tant que cinéaste est marqué en 1973 par la réalisation du film Pourquoi Israël. Sa plus grande œuvre, à savoir Shoah, naît alors à la suite de ce projet initial.

Claude Lanzmann : repousser les limites de la fiction

Vous savez, en 1987, Claude Lanzmann a fait une déclaration pour le moins frappante lors d’un entretien avec le journal Libération. « la perversion du système nazi, ce n’est pas seulement la destruction des juifs, c’est la destruction de la destruction. Il fallait qu’il n’y ait pas de traces du génocide. Ça n’existait pas pendant que ça se faisait  ! On interdisait le mot cadavre, on disait chargement, marionnette, merde, rien… Il a donc fallu tout reconstruire ».

Et, vous l’avez bien compris, pour Lanzmann, la mise en fiction de la Shoah relève de « l’inexcusable ». Pourquoi ? Et bien, comme il l’a lui-même souligné, « Je ne vois pas comment on peut faire de la fiction avec l’extermination des juifs. L’idée même d’une fiction  ! L’image même des juifs entrant dans les chambres à gaz  ! (…) Ce serait insupportable pour les survivants, les morts, les victimes. Impossible, un crime  ! Je crois qu’en écoutant ce Polonais raconter – revivre sous nos yeux – cette vision d’enfer du ghetto, on y est… on voit. »

En se réappropriant le passé de cette manière, Lanzmann a créé avec Shoah un film qui peut être perçu comme une œuvre talmudique. Comme l’a souligné Lanzmann lui-même, « Le Talmud interdit la représentation. C’est vrai… Shoah est une expérience allégorique du voyage des juifs européens vers la mort. De leurs derniers instants. C’est une résurrection. »

Le cinéma, en général, peut être considéré comme une tentative de reconstruction de la mémoire, de transformation de l’histoire en récit. Pensez à La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer, qui raconte la vie du commandant d’Auschwitz Rudolf Höss et de sa famille, dans leur maison juxtaposant le camp.

Mais, Shoah de Lanzmann reste ce chef-d’œuvre indélébile qui laisse Simone de Beauvoir sans voix : « Je n’aurais imaginé une pareille alliance de l’horreur et de la beauté. Certes, l’une ne sert pas à masquer l’autre, il ne s’agit pas d’esthétisme : au contraire, elle la met en lumière avec tant d’invention et de rigueur que nous avons conscience de contempler une grande œuvre. »

Et maintenant, pour vous, chers lecteurs qui souhaiteraient découvrir ce monument du cinéma documentaire, Shoah de Claude Lanzmann sera diffusé sur France 2 le mardi 30 janvier à 21h10, et sera disponible le jour suivant sur france.tv pendant 30 jours. Prenez garde, l’intensité de ce film n’est pas à prendre à la légère.

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